Cuisiner les champignons : conseils d'usage
On a tous en tête une idée du champignon type : un
intrus spongieux qui apparaît et disparait sans crier gare, juché sur son
piédestal, avec un chapeau beige qui cache des lamelles. Cette image est celle
du champignon de Paris dont on prête volontiers le goût à tout ce qui s’appelle
champignon. Pas étonnant : cette espèce représente à elle seule les neuf
dixièmes de tous les champignons cultivés dans le monde. En fait, en tenant
compte des espèces sauvages, il y a au moins autant de diversité chez les
champignons que chez les plantes. En conséquence, il n’existe pas de méthode
unique de préparation culinaire. Plusieurs facteurs doivent être considérés :
le goût ou l’arôme particulier, la texture, la taille et le volume, la
consistance, la teneur en eau.
LA SÉLECTION
Un précepte s’impose en matière
d’alimentation : on ne mange que ce dont l’innocuité ne fait aucun doute.
De plus, quelques précautions élémentaires sont
recommandées lorsqu’il s’agit de nourriture récoltée en forêt et de champignons
sauvages en particulier :
• écarter soigneusement les spécimens toxiques,
vieux, détériorés, parasités
• éviter les mélanges dont on n’est pas certain des composantes
• essayer une première fois avec réserve et éviter les portions trop copieuses
Environ 10% des gens seraient intolérants au
tréhalose, sucre particulier aux champignons : la proportion est modeste
comparativement à l’intolérance au lactose du lait, mais elle explique la
retenue de plusieurs.
La maturation des champignons en accentue
généralement les arômes : ces derniers ont un goût plus intense au moment de la
sporulation parce que leur fonction première est d’attirer les animaux qui
répandront les spores dans le milieu. C’est donc généralement le meilleur
moment de les consommer. Les tout jeunes matsutaké (tricholoma matsutake),
toutefois, commandent des prix des plus mirobolants sur le marché japonais pour
des raisons culturelles, bien qu’ils soient beaucoup moins parfumés que leurs
ainés. Par contre, il faut savoir que la conservation à l’état frais est
typiquement brève.
LA PRÉPARATION
Le nettoyage des
champignons sauvages est impératif. Ils sont nettoyés de préférence sur le site
de la cueillette pour éviter de saupoudrer la saleté sur tout le contenu du
panier. Les champignons sauvages sont appréciés de certains animaux et
d’insectes qui laissent des traces (ce qui n’est d’ailleurs pas un gage
d’innocuité : les lapins mangent des amanites blanches, mortelles pour nous),
des larves qu’on ne souhaite pas ingérer.
Après avoir gratté la terre, enlevé le sable ou
coupé les parties impropres, le brossage sous un filet d’eau est suggéré en
cuisine.
La morphologie de certaines espèces est propice aux
caches. Des polypores qui se déploient un peu à la manière des choux, les
clavaires crépues (Sparassis crispa) , les hydnes d’Amérique ou
coralloïdes (Hericium americanum/coralloides) par exemple, cachent
des insectes ou du sable dans leur
«feuillage». Ils peuvent être complètement immergés dans une eau légèrement
vinaigrée sans que leur texture ou leur conservation n’en souffre.
Les champignons qui se développent à des
températures proches du point de congélation sont typiquement recouverts
d’une cuticule visqueuse qui les protège du froid. On pense
ici en particulier aux bolets tardifs du genre Suillus. Cette peau
est laxative et, à moins de destiner la récolte au séchage, il est préférable
de la peler, ce qui se fait facilement.
Les espèces du genre Hydnum se distinguent par
les aiguillons qui remplacent sous le chapeau les lamelles des
agarics. Dans le groupe, les pieds-de-mouton (Hydnum repandum/umbilicatum)
sont les plus recherchés : on enlève leurs aiguillons avant la cuisson, parce
qu’ils brûleraient avant que le champignon ne cuise. Ils peuvent éventuellement
être réservés à d’autres usages.
Plusieurs espèces présentent une partie spongieuse.
C’est notamment le cas des champignons qu’on regroupe familièrement sous le
vocable de «bolets» et qui appartiennent à plusieurs genres différents : ils
comportent des pores sous le chapeau : on les retire avant la
cuisson quand la texture est jugée trop spongieuse. Affichant aussi des pores,
les «polypores» sont pour la plupart simplement indigestes et se prennent
éventuellement en décoction.
Plusieurs espèces ont des pieds fibreux qu’on
évitera de poêler avec les chapeaux. Dans certains cas, les pieds sont
simplement rejetés : marasmes des oréades (Marasmius oreades), djon-djon
(Psathyrella coprinoceps). Chez les bolets du genre Leccinum, les
pieds hérissés sont coupés : compte tenu de leur fermeté relative, ils peuvent
être utilisés dans des préparations mieux adaptées, séchés ou moulus.
De toutes les parties des champignons, le chapeau est,
en général, celle qui présente le plus d’intérêt gastronomique : les aromes s’y
concentrent pour une raison évoquée plus haut.
La coupe des champignons frais
vise à en réduire le volume et à ramener les morceaux à une même taille de
manière à obtenir une cuisson uniforme. Ils peuvent être coupés en quartier, en
tranches ou en dés. Les plus petits ou les plus frêles seront le plus souvent
laissés entiers.
La capacité d’absorption des champignons est
légendaire, même si elle n’est pas généralisée. Pour cette raison, l’assaisonnement est,
de préférence, modéré en début de cuisson, évitant de masquer le goût. Trop de
sel accélère la sudation et assèche l’aliment. On rectifie les doses plutôt en
fin de cuisson.
LA CONSERVATION
Les champignons à l’état frais
sont reconnus pour se détériorer rapidement. Pour prolonger le cycle, la réfrigération est
nécessaire et la chaîne de froid doit être maintenue le plus tôt possible après
la cueillette, à des températures entre 0 et 2°C. À l’abri des courants d’air
asséchant, mieux encore sous vide, fraîcheur et apparence seront préservées
plus longtemps. Sauf sous vide, les produits ne doivent pas être gardés dans
des sacs hermétiques, ce qui accélèrerait la détérioration : les sacs de papier
kraft conviennent très bien.
La durée varie bien sûr avec les espèces, la teneur
en eau notamment : les coprins chevelus (Coprin chevelu sauvage), avec
95% d’humidité, résistent le moins. Les cèpes (Boletus edulis) sont
d’autant plus vulnérables qu’ils abritent parfois des larves. Les spécimens
plus fermes, giroles (Cantharellus cibarius), armillaires ventrues (Catathelasma
ventricosa), matsutaké (Tricholoma matsutake/magnivelare), gardent
leur forme plus d’une semaine au frigo.
Il existe par ailleurs de nombreuses techniques de
conservation de longue durée.
Nombre d’espèces se prêtent merveilleusement
au séchage. Elles n’y perdent ni en valeur nutritive, ni en saveur,
dans la mesure où on évite les températures excessives qui cuiront les
champignons. De plus, plusieurs toxines thermolabiles se dissipent à la
chaleur.
Pour les déshydrater, il faut chauffer à 42°C
environ et ventiler de façon à chasser l’humidité. Un four ne convient pas s’il
n’y a pas ventilation. Le séchage à l’air libre est possible et, en régions
isolées, inévitable : la durée varie alors avec les conditions ambiantes et des
insectes seront attirés.
Pour la conservation, le taux d’humidité doit être
ramené à moins de 10% de la matière sèche. Ainsi, la proportion d’eau à l’état
frais oscillant autour de 90%, le poids devrait être alors réduit de 88%
environ : un kilogramme de champignon frais donne environ 120g lorsque
déshydraté. La teneur peut atteindre jusqu’à 95% : un kg de coprins chevelus
donne à peine 60 g en matière sèche, très friable, à utiliser comme une poudre.
Incidemment, les précipitations sont bénéfiques à
la pousse. Les récoltes sont abondantes et les spécimens plus gros. En
contrepartie, les parfums sont dilués et la préservation est abrégée.
Certaines espèces prisées ne se prêtent pas bien au
séchage, notamment celles qui sont plus coriaces : les giroles (Cantharellus
cibarius), les truffes (Tuber sp.) notamment. Elles demeurent trop
fermes malgré la réhydratation ou encore leur profil aromatique est
altéré. Le fait de les moudre permet parfois de les récupérer dans des usages
divers : condiment, farine, bouillon et autres, mais le parfum pourrait
décevoir.
La durée du séchage dépend évidemment de la masse.
Vaut mieux couper les champignons charnus en tranches minces. Pour éliminer
tout microorganisme résiduel, on peut élever la température à 60°C quelques
minutes à la fin du traitement. Dans de bonnes conditions, à l’abri de
l’humidité, les champignons se conserveront plusieurs années : compte tenu de
leur valeur nutritive et de leurs saveurs, peut-être deviendront-ils des
aliments de prédilection lors de voyages interplanétaires.
Les saveurs des champignons se retrouvent dans
l’eau de réhydratation des spécimens secs, ce qui donne en soi un bouillon
utilisable. Elles se retrouvent également dans la mouture du champignon séché,
qui se prête à une grande variété d’application : sauce, soupe, vinaigrette,
boulangerie et pâtisserie, glace, assaisonnement, …
La congélation est efficace, mais
requiert plus de soin et de moyens. Abstraction faite des méthodes
industrielles comme la surgélation à l’azote, il est courant de blanchir les
champignons 30 secondes à l’eau bouillante avant de les congeler
individuellement de façon à éviter qu’ils ne collent les uns aux autres. Une
fois congelés, ils peuvent être placés ensemble dans un sac en plastique qui
sera laissé au congélateur. Le fait de retirer l’air du sac et, par la même
occasion, l’humidité, minimisera le risque de givre. Il s’en suivra une
meilleure conservation (jusqu’à six mois).
D’autre part, la méthode simple et applicable à
beaucoup d’espèces de champignons est de les faire suer à la poêle quelques
minutes à peine, à feu modéré pour éviter une évaporation excessive. On verse
le tout, incluant l’eau, dans des sacs hermétiques, de préférence sous vide, et
on entrepose au congélateur. Même les coprins chevelus, particulièrement
fragiles, se préservent étonnamment bien ainsi : il suffit de remettre à la
poêle sans décongeler et de cuire dans le jus qui fondra.
La marinade constitue une
alternative traditionnelle éprouvée. Il faut d’abord blanchir les champignons
et pasteuriser les pots à l’eau bouillante. Le blanchiment confère une fermeté
appréciable aux spécimens. En vue d’une conservation sécuritaire de longue durée,
le liquide d’immersion doit être acide avec un pH inférieur à 4,6.
Pour obtenir une marinade aigre-douce, on mélange,
par exemple, à égale proportion : vin blanc, vinaigre et eau, auquel on
ajoutera 60 g de sucre et 5 g de sel par litre, ainsi que les épices.
LES PRÉPARATIONS
Il est vivement recommandé de
cuire la plupart des espèces de champignons avant de les consommer. En effet,
les champignons cueillis en forêt ne sont pas exempts de microorganismes,
d’insectes et de saleté qui ne disparaissent pas toujours au nettoyage. D’autre
part, certaines espèces aussi prisées que les morilles (Morchella
esculenta/elata) contiennent des toxines qui se dissipent à la chaleur.
Enfin, la chitine, polysaccharide de la paroi des cellules, se digère mieux
après la cuisson.
En dépit de cette mise en garde, plusieurs espèces
sauvages à chair tendre, une fois bien nettoyées, se mangent crues ou marinées
dans une huile végétale légèrement acidifiée avec un peu de citron. Qu’on pense
ici à des bolets divers, à certaines amanites (Amanita ceasarea/jacksonii),
à certaines russules douces, aux marasmes des oréades (sans le pied).
Le blanchiment consiste à faire
bouillir les champignons dans une eau légèrement salée pendant une trentaine de
secondes. La pratique vise d’abord à éliminer la toxicité de certaines espèces,
à éliminer l’amertume ou à apprêter pour la conservation. En fait, ce traitement,
qui n’est pas à toute épreuve, épargne certaines toxines et n’est plus
recommandé à cette fin.
Le gyromitre était très couramment consommé après
blanchiment jusqu’à ce que sa toxicité persistante ne soit reconnue et sa vente
interdite presque partout. Il est pourtant encore prisé en Suède où on lui fait
subir plusieurs blanchiments successifs avant cuisson.
Le blanchiment permet aussi d’adoucir le goût de
vieux spécimens. Il précède aussi la congélation ou le marinage.
Soupes et potages sont un merveilleux usage pour faire
durer le plaisir de goûter des. On les colore à la poêle avant de les immerger
dans le bouillon. Les champignons séchés, voire en poudre, sont des ingrédients
de choix pour ces plats.
Les décoctions sont surtout
pratiquées pour dissoudre les substances thermolabiles de champignons
médicinaux, généralement des polypores autrement indigestes et dont on
disposera après les avoir fait bouillir longtemps. L’ébullition pendant plusieurs
minutes, voire plusieurs heures, attendrit la chair des champignons ou de leurs
parties les plus coriaces, les pieds notamment. Certaines espèces, les
shiitakes (Lentinula edodes) aux pieds coriaces par exemple, se prennent
plutôt en soupe.
Rares sont les espèces qui ne se prêtent pas à une
simple poêlée. On fait rissoler les champignons de préférence à la
poêle antiadhésive, avec un peu d’huile végétale, ce qui leur fera prendre de
la couleur. Certains opteront pour le beurre : ils prendront garde au feu trop
intense qui les brûlera. C’est pourquoi on suggère d’ajouter cette matière
grasse à la fin. La durée dépendra de la taille et de la forme des morceaux,
les espèces charnues et plus coriaces ou les tranches plus épaisses nécessitant
jusqu’à 15 minutes : pensons notamment aux armillaires ventrues, aux
matsutakés, aux tranches de vesses-de-loup géantes (Langermannia gigantea)
par exemple.
La cuisson en cocotte attendrit
les spécimens plus coriaces. Avant d’y placer les champignons avec des morceaux
de lard, il est suggéré de les dorer à la poêle. On cuit au four préalablement
chauffé à 170oC pendant 25 minutes.
Les champignons peuvent être chauffés au four.
On colore d’abord les champignons entiers dans le fond d’un chaudron, en
commençant par les plus charnus. Lorsqu’ils sont dorés à souhait, on ajoute
épices, vin et bouillon : 500 g de champignons fermes pour 200 ml de bouillon
et 50 ml de vin pendant 1h30, par exemple.
Les ragoûts et pot-au-feu,
incorporant viandes, légumes et assaisonnement, donnent des mélanges
intéressants de saveurs et des plats qui se gardent pendant plusieurs jours.
Des champignons charnus, tels les matsutakés, les
armillaires ventrues, certains bolets et lactaires, les vesses-de-loup
tranchées, les psalliotes ou les lépiotes comestibles, se prêtent bien
aux grillades. Ils peuvent être laqués façon teriyaki, marinés avec
du thym ou encore badigeonnés d’huile, puis poivrés et grillés. Les espèces
moins charnues, délicieuses comme les chanterelles en tubes (Craterellus
tubaeformis) ou les trompettesdes-morts (Craterellus cornucopioides),
ne se prêtent pas à ce traitement puisqu’elles
brûlent rapidement sur le feu.
PLAISIRS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRES
Pour la variété de leurs saveurs comme pour leurs
valeurs nutritives exceptionnelles, les champignons représentent un aliment de
choix. En forêt, ils sont l’occasion d’une trépidante chasse aux trésors. En
cuisine, ils stimulent la créativité. Il faut cependant le répéter : ne mangez
que ce dont l’innocuité ne fait aucun doute.